Est-il possible pour un mouvement de progrès social de supprimer le quotient familial ?
Une des mesures fortes de F. Fillon, soit disant en faveur des familles, est la remonté du plafond du quotient familial à 3000€ par enfant, contre 1500 actuellement.
Le quotient familial est une des mesures fiscales qui constitue, avec les allocations familiales, la politique familiale de la nation. C'est donc une mesure qui vise à soutenir les couples qui
s'engagent dans la parentalité. Elever des enfants est en effet une tâche qui n'est pas toujours simple et qui est coûteuse. Comme le renouvellement des générations est obligatoire pour le
bon fonctionnement d'une société, afin que les jeunes puissent prendre en charge les aînés, notamment au moment où les forces de ces derniers déclinent, il n'est pas anormal que les états
accompagnent les couples dans cette mission.
La politique familiale française actuelle est basée sur 2 outils principaux :
- les allocations familiales qui consistent à verser directement une somme d’argent mensuelle aux familles élevant plus de 2 enfants, de manière presque inconditionnelle.
- le quotient familial qui permet de réduire l’impôt sur le revenu des familles avec enfants. Chaque enfant permet aux parents de diviser son revenu imposable par un nombre de parts qui augmente
avec le nombre d’enfants. Les 2 premiers enfants apportent 1/2 part chacun, une part entière pour les enfants de rang suivant. l’IRPP étant ensuite calculé à partir de ce revenu imposable, il est
donc bien réduit.
A ces 2 outils principaux qui s’adressent à toutes les familles, de manière presque indépendante des conditions de ressources, il convient d’ajouter des aides plus ponctuelles dépendantes du
revenu ; les allocations logement principalement, ainsi que toutes les aides familiales gérées par la Caf, notamment autour de la petite enfance.
Dans le programme de Nouvelle Donne il est prévu de supprimer les allocations familiales et les aides à la petite enfance pour les remplacer par le revenu citoyen inconditionnel des enfants et
des adolescents (200€/mois entre 0 et 13 ans, 400€ entre 14 et 17 ans), et de supprimer les bourses d’étude du Crous, pour les remplacer par le revenu citoyen adulte de 600€ mensuels à partir de
18 ans, pour les étudiants comme pour les actifs salariés ou non.
Il est aussi prévu d’individualiser l’impôt sur les revenus d’activité, en le prélevant à la source sur la feuille de paye. Cette nouvelle modalité oblige à reconsidérer la question du quotient
familial, qui est difficilement compatible avec ce prélèvement à la source et l’idée d’une individualisation de l’IGR sur les salaires.
Et comme certains candidats de droite proposent, non pas de supprimer, mais bien de renforcer l’effet du quotient familial aux bénéfice des familles, il convient donc d’essayer de mieux
comprendre ce que signifie ce quotient familial, et s’il est vraiment si social que beaucoup le pensent.
Pour ce faire nous avons réalisé à partir du simulateur d’IRPP disponible sur le site des impôts (voir http://www3.finances.gouv.fr/cgi-bin/calc-2016.cgi ) une série d’estimation d’impôts pour
des ménages disposant de revenus imposables variables compris entre 12000 et 96000€ annuels, et en faisant évoluer les situations familiales entre célibataire, couple sans enfant, puis couple
avec 1 ou 2 enfants. Le but est de mieux comprendre comment le quotient familial impacte l’IRPP payé par ces différents ménages, en comparant, à revenu égal, l’IRPP payé par les couples sans et
avec enfants. Nous avons travaillé par tranche de 6000€ de revenu annuel. Cela ne permet pas de découvrir précisément les seuils qui permettent de changer de catégorie, mais cela permet de bien
appréhender la mécanique globale à l’oeuvre (voir tableau 1).
Tableau 1 : Simulations d’IRPP pour différents types de ménages et niveaux de revenu imposable
Le premier constat qui peut être fait est qu’en dessous d’un certain niveau de revenu, les ménages ne sont pas imposables à l’IRPP. Le seuil est à plus de 30000€ pour un couple sans enfant. Ce
seuil est aussi celui du démarrage de l’imposition pour les couples avec enfants.
Ce n’est qu’à partir de 36000€ que les couples sans enfant payent de l’IRPP et que ceux qui ont des enfants commencent à bénéficier du quotient familial qui leur fait économiser un peu d’IRPP
annuel. Il convient alors de rappeler que le revenu disponible médian des ménages français était en 2013 de 29540€ (source Insee Références, édition 2016 - Fiches – Revenus).
Comme ce revenu disponible comprend le revenu imposable plus les prestations sociales qui ne sont pas imposables, on peut faire l’hypothèse que ce sont plus de 60 % des ménages
français les plus modestes qui ne bénéficient pas du tout du quotient familial.
Au bout d’un certain niveau de revenu (66000€ pour 1 enfant, 72000 pour 2 enfants) on atteint le plafond du quotient familial à 1510€/enfant. Cela signifie que pour des revenus supérieurs,
l’impact du quotient familial sur l’IRPP n’augmente pas au-delà de 1510€/ enfant.
Dans le programme de F. Fillon on parle de remonter ce plafond de quotient familial à 3000€/enfant. Cette mesure ne modifiera en rien l’imposition des familles des catégories modeste et moyenne
qui ne sont pas imposables. Elle permettra en revanche de baisser significativement l’IRPP des ménages aisés.
On peut imaginer qu’un couple gagnant 96000€ par an avec 2 enfants verra son IRPP baisser de deux fois 1500€ de plus que maintenant, soit un cadeau fiscal annuel de
3000€/an.
Les familles modestes qui seront déjà fortement impactées par la hausse de la TVA (+2%), par le fait de devoir travailler plus sans hausse de rémunération proportionnelle (39h payées 37!), par le
non remboursement de frais liés à des maladies « non graves » ne pourront donc pas bénéficier de ce cadeau fiscal supplémentaire que M Fillon fera aux ménages les plus aisés de notre
pays !
Mais il faut surtout avoir à l’esprit que ce cadeau fiscal se traduira par un manque à gagner pour l’état. Cette baisse de recette fiscale permettra d’alimenter le discours habituel du déficit
budgétaire, discours bien utile pour continuer à détruire peu à peu les services publics et l’état social.
Pour conclure
Le quotient familial est une niche fiscale à priori populaire. Chaque personne, même la plus modeste, pense qu’elle peut bénéficier, ou bénéficie, aussi chaque année de cette niche fiscale. En
fait la réalité est que les 60 % des ménages les plus modestes, qui gagnent moins que le revenu moyen qui était de 35950€ annuels n’en profitent pas du tout. Leur IRPP
actuel est le même avec ou sans enfant. Pour eux la politique familiale se réduit aux allocations familiales, ce qui signifie que ceux qui n’ont qu’un enfant n’ont aucune aide.
Les ménages les plus aisés bénéficient eux d’une aide supplémentaire pour s’occuper de leurs enfants qui peut aller actuellement jusqu’à 1500€/an et par enfant sous forme de réduction
d’impôt, et ce dès le premier enfant !
Pour le budget de l’état ce quotient familial est un fort manque à gagner, qui pénalise sa possibilité de financer des services publics qui vont aussi manquer aux familles,
notamment aux plus modestes qui n’ont pas les moyens de remplacer des services publics par des prestations privées. C’est bien d’une double peine dont il s’agit pour elles.
Le projet de Nouvelle Donne est de modifier radicalement les 2 outils de politique familiale que sont les allocations familiales et le quotient familial, pour ne garder que les revenus citoyens
enfants, adolescents et jeunes étudiants. On obtient un système simple, universel mais juste et équitable, qui encourage à la parentalité y compris dès le premier enfant. C’est aussi un
système qui accompagnera les parents jusqu’à la fin des études supérieures éventuelles de leurs enfants, quand aujourd’hui les allocations familiales s’arrêtent à 20 ans, ou plus tôt en
cas de demande d’allocation logement, pour être bien insuffisamment remplacées par des bourses du Crous difficiles à obtenir sur le plan administratif, ou des aides aux logements étudiants qui
servent surtout à renforcer la rente des propriétaires et à maintenir des prix de logement excessivement élevés dans notre pays.
Enfin, le projet de Nouvelle Donne comporte aussi la généralisation de la semaine de 4 jours, et un revenu citoyen adulte, ce qui devrait aussi être une vraie respiration pour les parents. Ils
pourront avoir plus de temps libre pour leur famille, comme le demandent 48 % des parents de jeunes enfants selon l’UNAF (voir http://www.unaf.fr/spip.php?article20713 ), sans être obligés
de quémander un temps partiel auprès de leur employeur.
Donc résolument oui, il est possible, et même souhaitable, de supprimer le quotient familial, mesure soit disant sociale qui ne profite qu’aux familles les plus aisées, à condition de le
remplacer par un revenu citoyen qui permettra à toutes les familles, même les plus modestes, d’envisager un peu plus sereinement qu’aujourd’hui l’aventure de la parentalité.
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