Manifeste pour un monde de partage et de modération

 

Introduction

 

Après les 30 glorieuses (1950 à 1980), qui ont permis aux pays occidentaux de connaître un développement sans précédent et tout à fait enthousiasmant, l'espoir était de généraliser au monde entier cette civilisation de l'insouciance, de la paix, de la prospérité et du loisir qui semblait accessible du fait du progrès technique.

 

Puis se sont passées les 30 laborieuses (1980 à 2010) pendant lesquelles nos espoirs ont été largement déçus. Beaucoup de pays n'ont jamais pu sortir de la pauvreté, voir se sont perdus dans des conflits sans fin. En occident la peur du chômage de masse et de la régression sociale, la montée des inégalités, la multiplication et la répétition des crises et des catastrophes naturelles de plus en plus proches et violentes nous font douter du bien fondé, mais aussi de notre capacité, à généraliser notre mode de vie à l'ensemble du monde.

 

C'est d'autant plus vrai depuis le début des années 2010 où nous avons l'impression d'être entrés dans des années de plus en plus douloureuses. La crise financière mondiale de 2008, les catastrophes écologiques ultra-violentes, qui longtemps étaient réservées aux pays lointains, frappent maintenant chez nous. Nous n'arrivons pas à assurer une vie décente pour beaucoup de nos concitoyens malgré des systèmes d'aides sociales et d'accompagnement publics plutôt très généreux et coûteux. Et voilà la pandémie mondiale de la COVID qui nous ramène de plein fouet vers un passé qu'on croyait oublié. Les gens meurent aujourd'hui en grand nombre dans les hôpitaux de nos territoires d'outre mer, comme ils sont morts l'année dernière aux Etats Unis et dans une moindre mesure chez nous en France.

 

Et nos certitudes vacillent. Pourra t'on un jour revenir au monde d'avant ? Mais surtout le faut t'il ? Ou faut il revoir l'ensemble de notre modèle de société mondialisé, et si oui dans quelle direction faut il s'orienter ?

 

Faut il stopper la mondialisation et s'enfermer chacun chez soi ? Faut il renoncer à notre mode de vie consommateur et entrer dans une phase de décroissance volontaire ou forcée qui nous fait très peur pour nous et nos enfants ? Faut il nous enfermer dans des bulles sanitaires « sécurisées » par un bien incertain pass sanitaire ? Faut il essayer de réduire les inégalités et faire preuve de solidarité ou doit on généraliser le chacun pour soi qui souvent prend le dessus en période de crise ? Comment doit on organiser notre société et son mode de fonctionnement pour que chacun puisse y trouver une place qui lui convienne, en développant des activités compatibles avec l'exigence écologique et sanitaire ?

 

Voilà quelques questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans le texte ci-dessous.

 

 

 

1. Des 30 glorieuses aux années douloureuses, comment et pourquoi les crises à répétition font vaciller notre société ?

 

1.1. Pourquoi le modèle des 30 glorieuses n 'est pas généralisable ?

 

Aussi incroyable que cela soit, nos grands parents vivaient jusqu'au milieu du Xxeme siècle, à l'orée de la 2eme guerre mondiale, d'une manière très proche de celle de toutes les générations qui les avaient précédées. La majorité de la population était rurale. Elle vivait dans une forme d'autarcie avec des moyens de production et de déplacement très rudimentaires. Et une vie de labeur souvent très difficile, qui s'appuyait principalement sur l'énergie des hommes et des animaux.

 

Ce n'est qu'à l'issue de la guerre de 1940 qu'une politique très volontariste de « modernisation » de tous les secteurs des sociétés du monde occidental s'est mise en place. Elle s'est appuyée principalement sur le progrès technique qui a envahit tous les secteurs de la société : habitat, équipement des ménages, outils de déplacement individuels et collectifs pour la partie privée. Machines, robots, automates, logiciels pour la partie productive. Ce progrès technique a été rendu possible par l'utilisation massive d'énergie fossile pour démultiplier la capacité humaine à transformer son environnement et son mode de vie.

 

En parallèle à ce progrès technique généralisé, est apparue une civilisation « de loisirs ». Les exigences de la production « primaire » étant à peu près solutionnées par les machines, les gens ont pu se consacrer à des activités plus diverses et ouvertes. Le temps d'emploi a beaucoup diminué au profit du temps libre. Et les offres de loisirs se sont multipliées. Et la technologie a vraiment colonisé tous les compartiments de notre vie. Et cela a été merveilleux. Tant de liberté, tant d'opportunités, tant de facilités pour se déplacer en proximité ou à l'autre bout du monde, cela ne pouvait que nous griser.

 

Pendant 30 ans personne n'a remis en cause ce modèle de développement qui donnait satisfaction au plus grand nombre. Puis est venu le temps de la désillusion. Cela a été très lent et progressif. Chômage qui grimpe régulièrement dans une courbe que nous n'avons quasiment jamais réussir à infléchir. Crises sanitaires périodiques avec de nouvelles maladies qui apparaissent, quand d'autres sont mises sous contrôle, voire éradiquées. Crise sociale avec des revenus qui stagnent ou baissent quand les revenus d'activités manquent ou sont insuffisant. Inégalités qui montent et font de plus en plus débat entre une classe aisée très minoritaire et les classes pauvres ou moyennes qui se sentent bloquées dans l'évolution initiée par leurs parents. Crises économiques avec des entreprises qui sont mises en concurrence à l'échelle locale et internationale et qui peinent à rémunérer correctement leurs salariés. Crises institutionnelles avec des services publiques qui se délitent peu à peu et une démocratie qui ne fonctionne plus.

 

1.2. Pourquoi les crises sont elles de plus en plus généralisées, fréquentes et violentes ?

 

Depuis 40 ans nous avons donc l'impression d'être en crises permanentes. Ces crises s'additionnent les unes aux autres sans que nous retrouvions jamais un état d'équilibre qui nous avait tant séduits lors des 30 glorieuses. En France, et plus largement en Europe occidentale, nous n'avons pas forcément perçu l'importance de ces crises. Elles se sont installées peu à peu, insidieusement, et nous avons appris à vivre avec.

 

Sur l'aspect social et économique nous avons constaté la raréfaction des emplois, la dégradation des conditions de travail et des rémunérations. Nous avons accepté de revenir sur des acquis sociaux (fin des 35h, allongement de durées de cotisation pour la retraite…) en espérant limiter l'ampleur du chômage. Nous avons souvent (toujours) été déçus. Rien ne semble pouvoir enrayer cette dégradation progressive de nos vies professionnelles et privées.

 

Sur la question environnementale la prise de conscience a aussi été très lente. Malgré des alertes scientifiques qui datent de plus de 30 ans nous nous sommes longtemps cru à l'abri des désordres climatiques et écologiques. Les canicules et les sécheresses étaient réservées aux zones sahéliennes et zones arides d'Amérique du nord ou d'Australie. Les inondations catastrophiques et glissements de terrain en Asie et Amérique du sud. Nous regardions ça à la télévision avec stupeur, mais sans nous sentir vraiment concernés. Nous avons trop longtemps été protégés par notre climat dit tempéré.

 

En 2002, comme nous l'avais pourtant dit notre président de l'époque de manière métaphorique, notre maison brûlait déjà dans l'indifférence la plus totale. Depuis 3 ans ce sont des villes entières qui brûlent dans plusieurs endroits du globe et les nations même les plus riches sont impuissantes à l'empêcher. Et ça se rapproche dangereusement. En été 2021 on a brûlé en Grèce et sur notre littoral méditerranéen. Et les inondations ont fait encore des milliers de morts et de personnes impactées chez nos voisins belges et allemands.

 

Ces catastrophes sont donc de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes et de plus en plus mondialisées. Plus personne ne se sent protégé. Et à la fois on se sent très impuissant. A l'échelle individuelle on a l'impression de ne rien pouvoir faire d'efficace. Collectivement il est très difficile de trouver un consensus pour revisiter de manière drastique nos modes de vie et de consommation tant nous avons l'impression de devoir renoncer à la civilisation de loisirs et de paix qui nous semblait si proche.

 

Mais il va falloir le faire. Tous les scientifiques sont aujourd'hui d'accord pour dire que la dégradation climatique, avec tous ses effets induits sur la ressource en eau et sur la biodiversité, toutes 2 déjà bien malmenées par nos activités humaines, va s'aggraver. Des points de non retour sont déjà largement dépassés. Et des effets d'emballement aux conséquences difficilement prévisibles sont possibles, voir attendus. Et comme cela se fait à l'échelle mondiale, il n'y a pas d'échappatoire possible.

 

 

1.3. Pourquoi les inégalités deviennent elles insoutenables ?

 

Malgré tout l'impression reste que nous ne sommes pas tous égaux devant les difficultés.

 

A l'échelle internationale tout d'abord. Les pays du sud sont les plus impactés par les crises sanitaires, sociales et climatiques. Ils ne se sentent, à juste titre, que très peu responsables de cet état de désordre mondial. Ils viennent réclamer aide et justice et parfois accueil que nous leur refusons.

 

Au sein même de notre société les inégalités sont de plus en plus criantes. Les plus riches et les classes dirigeantes semblent imperturbables et peu concernées. Elles voient avec plaisir arriver la perspective de voyages en apesenteur et espèrent que le trafic aérien reprendra vite dès la crise sanitaire évacuée.

 

Pendant ce temps les plus modestes qui ont été confinés dans des conditions de logement très précaires ont pris conscience de la fragilité de leur situation. Mais aussi parfois de l'absurdité de leur mode de vie. Nous nous rêvions à la fin des année 60 une civilisation de paix et de loisir. Nous nous sommes réveillés en 2020 dans un monde de compétition et d'accumulation. La compétition est partout. A l'école où il faut aller loin pour espérer un emploi rémunérateur. Dans l'entreprise où il faut être performant pour ne pas être remplacé par les chômeurs ou les jeunes loups dynamiques qui frappent à la porte. Dans la vie privée où il est important de pouvoir exhiber les signes extérieurs de réussite sociale. Et à l'international où il faut être plus compétitifs que les autres pour remporter les parts de marché. C'est de ce modèle de civilisation qu'il nous faut très rapidement sortir.

 

Malgré tout, la prise de conscience n'est pas suffisante. Changer de mode de vie, ou de vie tout court, n'est jamais simple, surtout si on a peu de moyens. C'est pour cela qu'il est très important, et urgent, de revisiter totalement notre civilisation occidentale pour l'adapter, autant que possible, aux enjeux et conditions du temps présent et du futur proche en passant dans un monde de partage et de modération.

 

2. Quel modèle social faut-il inventer pour vivre tout en respectant les exigences écologiques, sanitaires et sociales dans un monde aux ressources limitées ?

 

2.1. Créer des richesses sans impacter l'environnement en travaillant avec la nature plutôt que contre elle

 

Jusqu'au début des 30 glorieuses, et depuis la nuit des temps, les activités humaines étaient conditionnées et rendues possibles par la nature. Celle ci est spontanément généreuse, et très performante, si on la laisse s'exprimer.

 

Avec le progrès technique, et en s'appuyant sur les ressources fossiles non renouvelables, nous avons dans un premier temps « amélioré » les performances des mécanismes naturels (utilisation des engrais minéraux d'origine naturelle, sélection animale et végétale), puis progressivement remplacé ces mécanismes naturels en utilisant des objets (machines motorisées), des matières (combustibles fossiles et produits de la pétrochimie), des techniques (moteurs à combustion), des systèmes (énergie nucléaire, OGM) qui n'existaient pas dans la nature.

 

Il nous faut aujourd'hui retrouver ce partenariat avec la nature, en nous appuyant sur toutes les connaissances que nous avons accumulées depuis des décennies. Et il nous faut être très réalistes sur le fait que les ressources naturelles étant limitées, notre capacité de production sera elle aussi limitée. Il va donc falloir faire des choix et des priorités. Toute l'énergie non renouvelable et les ressources naturelles que nous utiliserons pour créer du superflu nous manqueront pour l'essentiel.

 

Certains mécanismes naturels peuvent être démultipliés presque à l'infini : photosynthèse, synergie entre plantes, champignons et bactéries, captation de l'énergie solaire thermique, recyclage de l'eau et de la matière organique, travail, marche et déplacements doux des hommes et des animaux. D'autres sont limités par le besoin de fabriquer des objets ou des machines pour les valoriser : turbines pour récupérer l'énergie hydraulique, pales pour l'énergie éolienne, digesteurs pour l'énergie de la fermentation par exemple.

 

Nous devons donc d'urgence mobiliser tous ces systèmes naturels de production et les mettre en œuvre partout où c'est possible. Mais aussi hiérarchiser nos priorités de production pour couvrir déjà les besoins essentiels de l'ensemble de la population mondiale, avant d'assurer à certains le luxe du superflu. Cela impose donc une réflexion collective sur la notion de richesses. On utilise aujourd'hui ce mot pour tout et n'importe quoi. De fait les vraies richesses qu'il faut produire sans modération pour couvrir les besoins de tous sont les biens matériels essentiels ainsi que toutes les relations sociales qui font que nous sommes humains. Prendre soin des autres, les aider à grandir physiquement, intellectuellement et culturellement sont des richesses humaines essentielles. Un grand débat est donc à ouvrir rapidement dans notre société sur la dimension essentielle ou superflu de nos activités de production. Il a été ébauché lors du premier confinement. Ayons le courage de le reprendre et de le mener à son terme, même si la situation s'améliore.

 

 

2.2. Permettre à chacun d'exprimer librement son potentiel créateur et lui donner une place dans la société

 

Dans notre société actuelle de nombreuses personnes se sentent, et parfois (souvent) sont, exclues ou au moins très mal à l'aise. La représentation la plus visible de cela est le chômage. Le fait que notre société continue à tourner malgré un nombre de chômeurs croissant peut laisser penser que certains sont inutiles. Mais le fait d'avoir un emploi n'est absolument plus une garantie ni d'utilité, ni de bonne intégration sociale et économique. De nombreux emplois semblent tellement déconnectés des besoins de la vie réelle qu'on peut comprendre que les gens qui s'y trouvent engagés peinent à y trouver du sens.

 

La recherche de sens et l'aspiration à une reconnaissance et une utilité sociale est ancrée au coeur de chacun d'entre nous. Dans notre monde actuel cette reconnaissance passe très majoritairement par l'activité professionnelle. Et au sein de l'activité professionnelle elle même, l'échelle de valeur est quasiment uniquement conditionnée au niveau de la rémunération. C'est aussi un débat qui a émergé au début de la crise sanitaire. Nous avons tous été frappés de constater que les emplois de la première ligne sont, dans leur immense majorité, situés au bas de l'échelle des rémunérations. Il est important pour demain de revoir cela et de trouver un mécanisme qui permette de revaloriser significativement ces métiers tant sur le plan de l'image que de la rémunération. Et il est aussi important que chacun de nous qui le souhaite puisse s'insérer dans un monde professionnel dans des conditions qui lui permette de s'y épanouir pleinement.

 

 

 

3. Comment gérer la transition qui doit être rapide ?

 

Passer rapidement d'un monde de compétition et d'accumulation vers un monde de partage et de modération semble un défi totalement impossible. Avant de voir comment pourrait fonctionner sur le plan social et économique ce monde de partage et de modération, voici les 3 conditions qui semblent importantes pour que cela puisse se réaliser.

 

3.1. Donner envie en rappelant qu'un mode de vie écologique est infiniment plus agréable et satisfaisant que notre mode de vie dominant actuel

 

Dans l'imaginaire populaire, souvent conditionné et véhiculé par les médias, l'adoption d'un mode de vie écologique ne peut être qu'un immense sacrifice qui implique de nombreux renoncements. Et en plus ça coûte cher ! Cette vision est étrange car la réalité objective, et l'expérience de ceux qui le pratiquent, prouvent, à peu près, exactement le contraire.

 

Habiter dans un logement de taille raisonnable, adapté aux besoins de sa famille, bien isolé, est infiniment plus agréable et moins coûteux que de devoir supporter une passoire thermique surdimensionnée. Et c'est d'autant plus vrai que votre habitation utilisera une source d'énergie renouvelable. L'électricité, le gaz ou le fioul sont aujourd'hui les sources d'énergie les plus coûteuses pour du chauffage.

 

En ville se déplacer sur de petites distances à pieds, en vélo ou dans des transports en commun de proximité est infiniment plus agréable et rapide que d'utiliser une voiture qu'il faudra intercaler dans des bouchons permanents et arriver à garer sans trop perdre de temps. C'est d'autant plus vrai que des équipements adaptés aux modes de déplacements urbains alternatifs ont été bien conçus et installés. Et ça coûte infiniment moins cher. La voiture individuelle est le mode de déplacement terrestre le plus coûteux à faire fonctionner.

 

A la campagne passer du temps à cultiver quelques légumes et arbres fruitiers est infiniment plus valorisant et stimulant que de tourner en rond sur sa tondeuse autoportée pétaradante sitôt que les beaux jours sont là. Et il est de plus en plus possible de s'intégrer dans des jardins partagés nourriciers en ville aussi.

 

Faire ses courses alimentaires auprès de producteurs locaux est aujourd'hui facile en ville comme en campagne tant les filières de circuits courts se sont développées et modernisées dans beaucoup de nos territoires ces dernières années. Et cette production agricole saisonnière vendue en circuits courts est dans notre pays de grande qualité et diversifiée et souvent pas plus chère que les produits industriels plus ou moins transformés que l'on trouve dans nos hypermarchés.

 

Habiter à proximité de son lieu d'activité, et pratiquer éventuellement un télétravail partiel choisi, permet de gagner énormément en qualité de vie, en plus d'être économique.

 

Et enfin il existe des centaines d'activités de loisir, sportives ou culturelles de proximité, qui sont absolument compatibles avec un mode de vie écologique. Il n'y a donc que très peu de renoncement à avoir dans ce domaine, et il ne faut pas se priver d'en profiter.

 

La réalité est donc qu'un mode de vie écologique apporte au quotidien de réelles satisfactions et qu'il est dommage de s'en passer.

 

 

3.2. Faire sens en rappelant que nous ne pourrons pas nous en sortir sans nous serrer les coudes et en travaillant avec la nature plutôt que contre elle

 

Nous avons vu que la nature est spontanément généreuse. Elle nous offre de l'eau qui, si on y fait attention, est de bonne qualité, et de l'air pour respirer. Elle nous fournit des aliments, des matériaux et un cadre de vie souvent naturellement très agréable.

 

Mais elle peut aussi être impitoyable. En fait elle n'a pas d'état d'âme. On ne peut qu'être impressionnés, et un peu déstabilisés, par la violence de certaines catastrophes naturelles. Surtout celles que l'on vit ces dernières années. Et la manière dont elles détruisent en quelques minutes des infrastructures humaines qu'il a fallu des années pour construire. Et qui représentent parfois une vie entière pour certaines personnes.

 

Il faut donc nous rendre à l'évidence. La nature peut être terrifiante autant qu'elle peut être généreuse. Et si nous continuons à ignorer cette réalité, en pensant que, quoi qu'il arrive, c'est nous les humains qui auront le dernier mot, nous nous exposons à de grandes désillusions, tant individuelles que collectives. Et probablement beaucoup de souffrance. Il est urgent de revisiter notre pacte avec la nature. Pour le plus grand bénéfice de tous.

 

3.3. Y aller le plus vite possible et ça tombe bien car nous avons tout ce qu'il faut en matière de savoirs et de techniques

 

La transition écologique est souvent associée à une révolution technologique. Remplacer des centrales thermiques par de l'éolien ou du photovoltaïque. Supprimer les moteurs thermiques par de l'électrique. Utiliser la biomasse plutôt que le pétrole pour développer la chimie de demain...

 

Si toutes ces évolutions techniques sont utiles et intéressantes, elles ne sont ni nécessaires ni suffisantes pour assurer une transition écologique de qualité et rapide. Jamais ces nouvelles technologies ne permettront, à elles seules, de nous sortir des difficultés.

 

La transition la plus efficace s'appuiera sur des changements de comportements et une aspiration à la modération. Et pour cela nul besoin de technologies révolutionnaires. On sait aujourd'hui tout faire avec un niveau d'efficacité écologique satisfaisant. Il faut juste mettre en avant et généraliser les bons comportements. Et accompagner les citoyens et les entreprises dans la transition soit sur le plan de l'organisation collective, soit du financement.

 

4. Les outils sociaux, fiscaux et économiques à mobiliser dans le monde du partage et de la modération

 

S'il n'y a finalement rien de très nouveau à inventer sur le plan technique pour aller vers un mode de vie écologique, et un monde de partage et de modération, il n'en est pas de même sur le plan de la régulation sociale et fiscale. De toute l'histoire de l'humanité, la pénurie a engendré la barbarie. Surtout quand il s'agit des biens essentiels, l'eau et la nourriture notamment. Peut on imaginer la civilisation mondiale accepter de s'autolimiter sur le superflu, pour que chacun des presque 8Mds d'humains ait accès à l'essentiel de manière normale et suffisante. Avec un regard d'occidental ça paraît impossible. Avec un regard plus international ça se discute. Aujourd'hui encore la majorité de la population mondiale vit dans un monde de modération. Mais c'est sur un mode contraint et non choisi. Et cela se subit en ayant dans les écrans l'image du monde occidental d'accumulation. Il va falloir trouver les outils de la gouvernance et de la régulation sociale et fiscale qui permettent d'encourager la modération tout en respectant, le plus possible, la liberté individuelle que nous connaissons depuis plusieurs décennies. Et il est urgent que les pays riches, qui sont presque à 100 % responsables du grand désordre écologique actuel, le reconnaissent et entament leur transition avec humilité.

 

Nous allons regarder maintenant les nouveaux outils fiscaux et sociaux qui semblent pertinents pour accompagner ce changement. Nous les aborderons au niveau français, mais avec l'idée qu'ils ne pourraient être réellement efficaces que s'ils étaient appliqués à l'échelle du monde.

 

4.1. Un revenu de base pour garantir l'essentiel à chacun et amortir les crises

 

Le plus important pour que ce monde de partage et de modération soit accepté est que l'on garantisse réellement à chaque citoyen la couverture de ses besoins de base dans toutes les situations, y compris en période de crise aiguë.

 

On est loin de cela y compris dans notre pays riche. Beaucoup de nos concitoyens n'arrivent pas à couvrir leurs besoins de base, alors que tant d'autres vivent dans l'insouciance et le gaspillage.

 

Pour atteindre ce but l'outil de régulation le plus adapté, qui n'a jamais été essayé dans aucun pays du monde, est le revenu de base individuel, inconditionnel et universel. Il doit être le socle de sécurité offert à tout citoyen qui lui garantisse un minimum vital. Son principe est très simple. Mais il oblige à une rupture idéologique importante. Notre société est actuellement totalement organisée autour de l'emploi. C'est lui qui permet rémunération. C'est aussi lui qui permet d'accéder à la protection sociale. Dissocier, au moins en partie, ce lien entre protection sociale et emploi est encore difficile à accepter pour nos concitoyens. Mais dans notre monde actuel l'emploi manque déjà tellement que le système de protection sociale ne fonctionne plus bien. Celui qui perd son emploi, perd aussi les droits sociaux. Et surtout ce système oblige à courir derrière une hypothétique activité professionnelle pour chacun.

 

Dans le monde de partage et de modération il va y avoir un tri à faire dans les activités. On va prioriser les essentielles et abandonner progressivement les activités totalement incompatibles avec la transition écologique. Même si de nombreux emplois pourront être créés dans des activités de transition, qui peuvent être demandeuses de main d'oeuvre, le solde risque d'être négatif entre emplois créés et détruits. Il faut donc anticiper sur une réduction du nombre d'emplois. La meilleure solution pour que cela ne s'accompagne pas d'une grande souffrance sociale est de réduire le temps d'emploi pour le partager entre le maximum de nos concitoyens. Mais travailler à temps réduit ne permettra pas de maintenir un pouvoir de vivre suffisant notamment pour les salariés du bas de l'échelle. La mise en place du revenu de base doit donc être un outil de garantie d'un revenu suffisant pour que chacun puisse vivre décemment et dignement, mais dans un esprit de modération, malgré, ou avec, une activité professionnelle à temps réduit. 4 jours par semaine probablement dans une première étape.

 

Tout cela est à paramétrer et à décider démocratiquement. Quel montant pour le revenu de base ? Quelle durée légale du travail ? Comment ce revenu de base s'inscrit il dans le cadre complet de notre protection sociale ? Comment finance t'on tout cela ? Voici autant de questions à résoudre. Elles ne sont pas forcément simples. Mais il faut s'en emparer très vite. Plusieurs scénarios ont été élaborés par différentes mouvances politiques ou associatives. Il faut les mettre au débat public. Nous ne pourrons pas construire un vrai monde de partage et de modération sans revenu de base.

 

 

4.2. Des quotas individuels d'émissions pour quantifier la modération et une fiscalité écologique incitative

 

Nos 2 problèmes principaux commun à toute l'humanité sont aujourd'hui le problème climatique et la raréfaction des ressources naturelles non renouvelables. Comment, dans ce contexte tendu, encadrer et limiter les émissions des individus et des entreprises tout en respectant la liberté et avec un souci d'équité ? La réponse n'est pas simple. Les tentatives de fiscalité environnementale, dont la plus connue est la taxe carbone, sont pour l'instant très mal perçues par les classes moyennes et modestes. Et pour les plus riches ce n'est qu'un gadget bien peu préoccupant.

 

Il faut trouver un dispositif fiscal qui soit suffisamment fort pour obliger à la réduction individuelle des émissions, qui engage personnellement chacun de nous, tout en préservant une relative liberté d'organiser sa vie et une certaine qualité de vie. Et ce dispositif doit, autant que faire se peut, impliquer de manière progressive à leur niveau de vie et de consommation les plus aisés comme les plus modestes.

 

La difficulté d'acceptation de la taxe carbone est qu'elle est difficilement modulable en fonction du pouvoir d'achat des personnes. Du coup elle est identique pour un même produit que l'on soit riche ou non. Elle pèse donc très différemment sur les individus et sans doute bien plus sur les ménages modestes que les ménages aisés.

 

La mesure qui serait très révolutionnaire, et la plus adaptée pour orienter les comportements individuels, serait d'établir des quotas carbone individuels. Le concept de quotas d'émission existe déjà. Il est depuis plusieurs années appliqué aux plus grosses entreprises du secteur de l'énergie ou de l'industrie lourde. Sa limite est qu'il est associé à un marché du carbone qui permet à ces entreprises d'acheter des droits à polluer en cas de dépassement de leur quota. Et le coût de la tonne de carbone est en général insuffisant pour que l'incitation à la réduction soit efficace.

 

Ceci dit proposer des quotas individuels peut faire peur. En matière de liberté individuelle on a sans doute vu mieux. Spontanément on se dit que ça fait clairement coercition et contrôle généralisé de la population. Et, au cas où un consensus se dégage sur ce principe, encore faut il trouver une modalité simple de suivi et de contrôle de ces quotas individuels.

 

Et en fait c'est là qu'on peut dégager une relative bonne nouvelle. Il serait sans doute assez simple d'élaborer un système de quotas individuels qui soit facile à gérer, à contrôler et qui puisse être très incitatif, tout en préservant une vraie liberté de choix de vie pour les individus. Dans un pays très administré comme la France tout du moins. Pour d'autres pays se sera sans doute plus compliqué.

 

Pour que ces quotas individuels ne se transforment pas en usine à gaz administrative et fiscale il faut se concentrer, au moins dans un premier temps, sur les gros postes d'émissions de GES qui sont facilement mesurables et contrôlables. Et d’une manière qui ne soient pas trop intrusive dans la vie des gens.

 

La proposition qui pourrait être faite est de commencer en ne prenant en compte que les 3 gros postes de consommations d'énergie qui doivent représenter la grande majorité des émissions des ménages, et qui sont aussi faciles à mesurer et à contrôler.

 

Il s'agit donc des déplacements en voiture personnelle, en avion ainsi que les consommation d'énergie fossile (gaz ou pétrole principalement) et d'électricité du ménage. L'idée générale serait que chaque ménage déclare une fois par an son relevé de compteur kilométrique, ses consommations d'énergie et ses voyages en avion. Ces 2 derniers postes pouvant d'ailleurs être évalués en terme de contenu carbone par les fournisseurs d'énergie ou les compagnies aériennes. Le contrôle des km parcourus en voiture doit pouvoir être vérifié par l'administration de manière plus ou moins automatique en le croisant avec les relevés des compteurs effectués lors des contrôles techniques des véhicules.

 

On ignore donc dans une première étape, mais peut-être n'aura t'on jamais besoin d'aller plus loin, les 2 autres postes d'émissions des ménages qui sont la consommation alimentaire, de la viande notamment, et de ce que l'on appelle l'énergie grise des biens immobiliers et mobiliers de taille significative. L'énergie grise est l'énergie qu'il a fallu mobiliser pour fabriquer tous ces biens de consommation. Ces 2 postes sont soit très inférieurs aux 3 premiers cités, soit très difficiles à évaluer et à contrôler, au moins pour l'alimentation.

 

Nous mettons aussi de côté dans un premier temps les déplacements en transports en commun hors avion. Ils sont aussi difficiles à évaluer car les valeurs d'émissions unitaires sont différentes selon le véhicule utilisé et son taux de remplissage qui ne peut être connu, ni maîtrisé par l'usager. Mais surtout ne pas les prendre en compte est un signal fort, et une grande latitude donnée à chaque personne de se déplacer sans limite de quota, si tant est qu'elle utilise des alternatives à sa voiture individuelle et à l'avion.

 

Dans ces conditions on voit donc que l'évaluation des émissions individuelles ou à l'échelle des ménages est relativement simple, et très peu intrusive. On ne parle que de distances globales parcourues ce qui ne donne que peu d'information sur le mode de vie des gens. L'étape suivante consiste à établir l'échelle de références des niveaux d'émissions que l'on accorde à chaque personne et au dessus duquel une taxation progressive des émissions sera appliquée. A titre d'exemple il est dit que pour respecter les accords de Paris chaque français ne doit pas émettre plus que l'équivalent de 2T d'équivalent CO²/an. On pourrait donc décider que 2T sont autorisées par citoyen français en franchise de taxe puis qu'à partir de ce seuil on augmente progressivement le niveau de taxe. Quitte à arriver à des niveaux de taxe tellement élevés, qu'ils pourraient être un frein à la surconsommation y compris pour les plus riches, ou au moins remplir les caisses publiques si même cela ne les arrête pas.

 

Nous aurions ainsi un outil fiscal plutôt simple à gérer, fortement incitatif à la modération, qui permette une vie décente et assez libre tant qu'elle reste dans des niveaux compatibles avec la transition écologique. Et la contrainte est la même pour chacun, l'argent permettant toujours de s'acheter des excès, mais avec un coût que nous pourrions rendre prohibitif si nous le souhaitons collectivement et l'édifions démocratiquement.

 

Ces quotas appliqués aux ménages pourraient être accompagnés d'un même principe pour les entreprises. Il faudrait juste définir branche par branche les modalités d'évaluation des émissions et les échelles de référence, ainsi que les taux de taxation progressifs. Il n'y a là rien d'impossible, ni même de difficile.

 

Et enfin ces outils de taxation écologique pourraient être associés à une TVA modulée selon des critères environnementaux, et éventuellement sociaux, à définir. Peu, voir pas de TVA, sur des biens de première nécessité produits selon des procédés écologiques. Une TVA maximale, dans la limite de ce qu'impose l'UE, pour des produits de superflu, ou écologiquement très peu satisfaisant.

 

4.3. Une fiscalité du patrimoine pour décourager l'accumulation stérile

 

Le 3eme outil fiscal innovant, qui n'a jamais été appliqué en tant que tel et à grande échelle dans notre pays, est la taxe sur l'actif net des ménages. L'ISF, maintenant remplacé par l'IFI en sont des ébauches mais bien limitées et imparfaites. Et pourtant le patrimoine est la plus grande cause d'inégalités dans notre pays, comme dans tous les pays similaires. De nombreux économistes ne cessent de mettre en avant l'urgence d'établir une taxation réellement progressive, et forte pour les plus riches, sur le patrimoine afin de réduire les inégalités.

 

Le principe de la TAN est d'appeler chaque année un impôt calculé avec un très faible taux qui s'applique à la valeur nette d'un actif important, c'est à dire la valeur dont on déduit l'éventuel capital à rembourser d'un crédit sur ce bien, La TAN aurait vocation à s'appliquer sur l'ensemble du patrimoine des individus : immobilier, mobilier important, avoirs financiers et œuvres d'art.

 

Cette TAN présente 2 avantages. Elle s'applique sur un patrimoine qui en France est très important et assez peu soumis à variation. Il est estimé selon l'INSEE à 13000Mds € soit 6 fois le PIB. Un faible taux, par exemple de 1 %, peut donc rapporter chaque année 130Mds€ ce qui est presque le double de la recette de l'impôt sur le revenu.

 

Ce patrimoine est par ailleurs très mal réparti dans la population. Une partie significative de la population ne possède rien. Et les plus riches détiennent l'immense majorité des actifs. C'est un problème en matière d'inégalités. C'est un avantage quand il s'agit de la fiscaliser. Les recettes de la TAN seront essentiellement apportées par les contributions des plus riches, d'autant plus qu'on appliquera des taux progressifs. C'est donc un impôt très redistributif.

 

Enfin cet impôt est incitatif à la valorisation des actifs. C'est important notamment en matière d'immobilier. Ce secteur est un problème dans notre pays. La pression sur les logements est importantes ce qui pousse les prix d'achat ou des loyers à la hausse. Il semble donc qu'on manque de logements pour subvenir à la demande. Mais en même temps il existe de nombreux logements mal ou pas valorisés, qui sont sortis du marché pour différentes raisons. A partir du moment où un propriétaire sait que son actif va être taxé, il aura intérêt à le vendre ou à le valoriser.

 

 

Conclusion

 

 

L’heure des choix radicaux approche. Depuis 30 ans nous faisons semblant de ne pas voir que notre société s’enfonce dans des difficultés croissantes sans que jamais nous ne trouvions des solutions pour inverser cette tendance. Les causes des difficultés sont connues. Les solutions comportementales et techniques existent. Elles pourraient être rapidement et facilement mises en œuvre et généralisées Mais pour changer d'échelle, il est nécessaire d'introduire des mesures radicales visant notamment à se soustraire au chantage à l'emploi et à ses effets pervers. Le revenu de base pourrait être le levier permettant aux alternatives de se multiplier et de faire basculer le système actuel vers un système soutenable et convivial.

 

 

Le revenu de base n'est pas la solution miracle qui résoudra à elle seule la crise environnementale. Certains craignent même que ce revenu soit utilisé pour consommer plus et c'est entendable : le revenu de base n'est qu'un outil. Son utilisation dépendra du projet de société dans lequel il s'inscrit : couplé à des mesures fiscales complémentaires, il peut jouer le rôle de catalyseur de la transition écologique. Car il s’agit d’un formidable moyen de libérer les énergies et le potentiel des individus.

 

Nous sommes aujourd’hui confronté·e·s à une double crise, écologique et sociale, en France et plus largement dans le monde. Le mouvement des gilets jaunes a démontré la nécessité de penser ces deux enjeux de manière conjointe, sans quoi les injustices désormais criantes dans notre société seraient renforcées. Le revenu de base, pensé dans une optique de transition écologique, peut être une proposition efficace, parmi d’autres, pour y parvenir. Il peut replacer l’économie au service de l’humain et de son environnement, en ouvrant la voie au travail choisi, à la coopération, à une répartition équitable des richesses et à une utilisation raisonnée des ressources.

 

Donnons aux générations futures le potentiel de protéger et réinventer le monde dans lequel elles veulent vivre.