Il y a aujourd’hui un vrai écart entre les attentes des salariés vis à vis de la nature des emplois et des conditions de travail et ce qu’on leur propose. Et finalement beaucoup préfèrent renoncer et se serrer la ceinture plutôt que de continuer à faire des emplois qui n’ont aucun sens, voire qui sont nuisibles pour la société et le climat, ou qui font sens mais dont les conditions de travail sont très dégradées et les rémunérations bien insuffisantes. Les employeurs sont de fait en vaine recherche de main d’oeuvre et ont du mal à stabiliser leurs salariés. Un cercle vicieux s’engage alors. Les salariés en poste ont de mauvaises conditions de travail faute d’avoir suffisamment de collègues pour répondre à la demande de travail à accomplir. Cela se sait et personne n’a envie de s’engager dans cette situation professionnelle tendue. Et le service rendu à la population, par des artisans ou des prestataires de services, se dégrade. Les délais des chantiers s’allongent. Dans les domaines de la petite enfance, de la santé ou du grand âge le manque de main d’oeuvre est criant et pose d’énorme problème à ceux qui en aurait besoin. Les jeunes parents ne peuvent avoir de place en crêche. Cela leur complique la démarche de reprendre un emploi.

 

Et pourtant ceux qui n’ont pas d’emploi se trouvent aussi vite en difficultés financières, surtout quand les conditions d’indemnisation du chômage se durcissent.

 

Le gouvernement actuel ne peut envisager d’autres leviers que le chantage à la fin des allocations chômage pour inciter les citoyens à revenir dans le monde du travail. Il refuse totalement de voir que les raisons du refus d’emploi sont bien plus profondes. Dans ce contexte compliqué où il n’y a que des perdant que pourrait on faire pour débloquer la situation ?

 

A moyen terme il faut revisiter totalement l’offre d’emploi et supprimer résolument les secteurs qui n’attirent plus personne aujourd’hui tant ils sont en décalage avec les exigences de la transition écologique dont chacun sent qu’elle ne doit plus être différée. Ce sont par exemple les secteurs totalement dépendant des énergies fossiles (véhicules thermiques, industries lourdes gazières et pétrolières) et plus largement les secteurs en lien avec la surconsommation de masse, celui de la publicité notamment.

 

Mais cette refonte profonde de notre économie va prendre quelques années et va demander de gros efforts de reconversion et de formation professionnelle pour les salariés des branches d’activité vouées à disparaître. A court terme, et de manière très rapide et urgente, la mesure qui me semblerait la plus à même de relancer une dynamique positive avec des salariés qui reviendraient dans les entreprises, y compris dans tous les secteurs actuellement en forte tension, serait de proposer des temps d’emploi réduits tout en garantissant une rémunération décente. Les enquêtes d’opinions récentes montrent que l’aspiration à un meilleur partage du temps entre vie privée et vie professionnelle est en forte progression dans notre pays. La semaine de 4 jours se développe dans de nombreuses entreprises, avec ou sans perte de salaire. Elle devient un vrai argument de négociation dans la recherche de collaborateurs.

 

Partant de ce constat nous avons 2 possibilités.

 

Faire une nouvelle étape de réduction officielle du temps de travail en instituant comme norme d’équivalent temps plein la semaine de 4 jours (soit 28, 30 ou 32h) ou maintenir la norme de 35h tout en facilitant l’accès aux temps partiels pour tous les salariés qui seraient intéressés.

 

Dans les 2 cas la principale difficulté pour mettre en place ces mesures reste leur financement. Comment assurer à un salarié payé au SMIC et qui ne travaille que 28h par semaine un revenu suffisant pour qu’il puisse vivre dignement de son activité. Dans tous les cas il n’y a que 3 leviers possibles.

 

Soit on demande aux entreprises de prendre en charge le coût de la mesure en assurant aux salariés à 28h le même salaire qu’ils avaient à 35h. C’est ce qui avait été fait pour le passage aux 35h en 1997. Ca paraît difficile de le généraliser aujourd’hui au moins pour les TPE et PME qui se débattent déjà avec les hausses des matières premières et des énergies qu’elles ont du mal à répercuter dans leurs prix de vente. Et d’autant plus que le saut correspond à 20 % de temps de travail, alors qu’il n’était que de 10 % entre 39 et 35h.

 

Un autre extrême est de demander aux salariés d’accepter une baisse de rémunération plus ou moins proportionnelle à la réduction du temps de travail. C’est probablement possible pour les salaires les plus élevés mais sans doute impossible pour tous ceux qui sont en bas de l’échelle salariale. D’autant plus que la hausse généralisée du coût de la vie met déjà en grande difficultés de nombreuses personnes.

 

La troisième solution est que l’état accompagne financièrement cette réduction généralisée du temps d’emploi, au moins pour les salaires modestes. Cela peut se faire de 3 manières. Les 2 premières consistent à réduire les taux de cotisations sociales soit sur la part salariale, pour qu’à salaire brut égal le net soit plus important, soit sur la part patronale, pour qu’un salaire brut plus élevé ne coûte pas plus cher à l’entreprise une fois les cotisations patronales payées. L’inconvénient de ces 2 solutions est qu’elles réduisent les budgets de la protection sociale qui sont déjà insuffisant pour répondre aux besoins. Une 3eme solution serait d’utiliser l’actuelle prime d’activité pour encourager et soutenir financièrement une transition vers un temps partiel généralisé.

 

Cette prime d’activité a été à l’origine instituée pour inciter les chômeurs à reprendre un emploi en complétant le revenu d’activité des salaires modestes pour que le différentiel de revenu avant et après la reprise d’emploi soit plus important. Elle est actuellement soumise à conditionnalité de revenus et impactée par la situation familiale.

 

Une solution serait donc de conditionner cette prime d’activité à la durée d’emploi en ne la proposant qu’aux salariés qui limitent volontairement leur temps d’emploi à un seuil maximal de 80 % soit 28h par semaine. L’idée serait que cette prime d’activité permette aux personnes qui travaillent à 80 % de percevoir le même revenu global net (salaire net + prime d’activité) que le salaire net perçu par quelqu’un qui travaillerait à 100 % et qui lui n’aurait plus le droit à la prime d’activité. Ce mécanisme simple serait très incitatif à la réduction volontaire du temps d’emploi et donc au partage de ce dernier entre plus de salariés, qui chacun pourraient voir leur situations personnelle et professionnelle s’améliorer et se rééquilibrer. On pourra de plus calibrer la prime d’activité pour soutenir le pouvoir d’achat des plus modestes si besoin. Il faudra définir le niveau de salaire en dessous duquel cette prime d’activité s’applique. Ce pourrait être par exemple le revenu d’activité médian. Pour les salariés qui gagnent plus il n’y a pas de prime d’activité. Ils peuvent choisir de limiter leur temps d’emploi à 80 % et auront la rémunération correspondant à ces 80 %. La prime d’activité sera bien sur versée aussi à tout salarié dont le temps de travail est inférieur à 80 %.

 

Vous trouverez dans le tableau suivant un exemple de ce qu’il est possible de faire avec cette prime d’activité qui vient compléter le revenu d’activité des salariés à temps partiel.