A la fin de la 2eme guerre mondiale, nous avions une agriculture principalement vivrière qui s’appuyait sur une main d’oeuvre familiale nombreuse et une forte intégration entre les productions agricoles et l’élevage permettant de produire avec peu de technologie et de chimie. Mais aujourd’hui la mécanisation et l’agrochimie (engrais minéraux de synthèse et produits phytopharmaceutiques), qui ont permis une incroyable augmentation de la production et de la productivité malgré une division par presque 3 du nombre d’actifs dans l’agriculture, rendent notre agriculture immensément dépendante aux énergies fossiles, même si cette dépendance est variable selon les filières de production. Cette énergie fossile nous a permis de déléguer à quelques 500000 agriculteurs la mission de nourrir 65M de français. Ils ont plutôt bien assuré cela pendant 50 ans et ont beaucoup de mérite tant le métier d’agriculteur est compliqué et souvent ingrat. Beaucoup de travail et de responsabilités, peu de revenu et de considération. Et nous nous sommes endormis en pensant que cela pourrait durer toujours. Aujourd’hui la réalité du monde nous rattrape. La raréfaction des énergies fossiles les rend de plus en plus chères devant la compétition que les pays se font pour se les approprier. Et la question climatique, très directement liée à nos consommations d’énergie fossile, vient en plus troubler le jeu. Les coûts de production agricole s’envolent quand les rendements sont de plus en plus aléatoires du fait des excès du climat.
Il nous faut donc d’urgence décarboner notre agriculture et cela ne pourra jamais se faire sans de profonds changements. Moins de mécanisation suppose beaucoup plus de main d’oeuvre dans ce secteur d’activité. Moins d’engrais minéraux azotés implique des baisses de productivité, donc plus de surface à travailler, et surtout à trouver, si on veut maintenir la production à son niveau actuel. Et enfin le modèle de grandes filières agroalimentaires, où les produits agricoles parcourent parfois des milliers de km pour différentes transformations avant de revenir dans nos assiettes sont elles aussi à revoir, tant ces filières sont énergivores. Une relocalisation vers une agriculture pour une alimentation de proximité est indispensable.
Nous proposons ci-dessous un nouveau modèle de microcoopératives vivrières qui pourrait être adapté pour une agriculture de proximité sobre en carbone, climatiquement résiliente et socialement bien mieux intégrée qu’actuellement.
au delà des problématiques environnementales, le secteur de la production agricole actuel souffre d’un manque chronique de main d’oeuvre et d’un déficit de rentabilité. Cela se traduit par des charges de travail très importantes et des revenus bien insuffisant. Cela contribue à dégrader l’image de ce secteur qui peine donc à recruter et à renouveler les générations. Les agriculteurs ont aujourd’hui trop de charge mentale à assurer pour pouvoir continuer à tout assumer seuls. Un risque financier avec des capitaux à investir de plus en plus important. Un risque sanitaire lié au fait de commercialiser des produits alimentaires périssables. Un risque social en cas de mauvaises récoltes occasionnant un déficit de ressources alimentaires pour le pays. Un risque environnemental en cas de mauvaises pratiques. On ne peut donc plus totalement déléguer à quelques professionnels de l’agriculture toutes ces responsabilités et ces risques et ce d’autant moins que nous souhaitons une vraie transition vers l’agroécologie et un moindre recours à la mécanisation et l’agrochimie. Il est essentiel qu’une partie plus importante de notre société se réapproprie la responsabilité, et en partie la pratique, de la production agricole et alimentaire. Il faut donc revisiter complètement l’organisation de notre système de production agricole.
L’objectif est donc de trouver une organisation sociétale qui permette aux citoyens qui le souhaitent de participer à hauteur de leurs moyens financiers, de leur temps disponible et de leur envies, de s’impliquer, en collaboration avec des professionnels de la production agricole.
Ce nouveau modèle pourrait s’appuyer sur le principe de coopératives citoyennes de production. Le modèle de la coopérative est déjà très présent dans l’agriculture. Il en existe de nombreux types qui couvrent l’amont et l’aval de la production.
Les grandes coopératives céréalières qui assurent l’approvisionnement des agriculteurs en intrants et qui mettent en marché ensuite leurs productions. Les coopératives laitières qui collectent le lait pour fabriquer tous les produits laitiers que nous trouvons dans les rayons des supermarchés.
Il existe aussi des coopératives de tailles plus modestes comme les fruitières de transformation laitière que l’on trouve encore en Savoie et dans le Jura et, bien sûr, les CUMA pour le partage de la mécanisation qui existent dans toutes les régions de France.
Enfin se sont aussi développées ces dernières années des structures collectives qui impliquent des agriculteurs et des citoyens. On pense par exemple à l’association Terre de Liens qui permet de mobiliser de l’épargne citoyenne pour investir dans des structures agricoles. Les Amap sont portées par des collectifs de citoyens pour faciliter la mise en marché des produits en circuits courts. Enfin le woofing montre d’un coté la difficulté à couvrir les besoins de main d’oeuvre avec du salariat conventionnel mais aussi la volonté d’une partie de nos concitoyens à se rapprocher un peu du secteur agricole.
Il me semble que l’avenir de notre agriculture pourrait s’appuyer sur des coopératives citoyennes de productions qui seraient constituées d’un collectif de familles qui investissent ensemble dans un petit domaine agricole sur lequel elles vont développer une production agricole diversifiée dont les produits seront en priorité destinées aux familles de coopérateurs.
Chaque famille prend des parts sociales permettant de constituer le capital de départ, complété si besoin par un emprunt souscrit par la coopérative.
Ensuite chaque famille verse chaque mois une somme fixe pour chaque personne qui la constitue, dont le montant est à définir, qui lui permet d’accéder chaque semaine à un panier de produits alimentaires issus de la coopérative.
Le surplus une fois la distribution aux coopérateurs effectuée peut être mis en vente sur le marché local.
Pour assurer la production la coopérative engage, selon sa taille, une ou plusieurs personnes professionnelles de l’agriculture, avec un statut de salariés, qui sont en charge de l’organisation et du suivi courant de la production. Les coopérateurs assurent en plus, à tour de rôle, un complément de main d’oeuvre qui peut être régulier, ou ponctuel pour des chantiers particuliers. Ils assurent aussi les permanences, quand elles sont nécessaires, pour les périodes de repos et de congés du ou des salariés.
Ce principe général pourrait être appliqué à 3 secteurs dont par ordre de priorité :
- des micro-coopératives vivrières très diversifiées dont les productions principales sont les fruits et légumes complétées par une petite sole de céréales et un petit élevage pour assurer aux coopérateurs la base alimentaire diversifiée dont ils ont besoin. Ces micro-coopératives vivrières auraient vocation à se développer et se généraliser dans la périphérie des villes et agglomérations
- des coopératives de production laitière et fromagères, donc un peu plus spécialisées, qui s’implanteront dans les régions herbagères avec des ruminants dont elles valoriseront le lait et la viande.
- des coopératives agri-énergétiques pour les grandes plaines céréalières
Le système de production de la coopérative vivrière est basé sur un modèle de polycultures - polyélevages. Il s'apparente donc à ce qui se faisait dans les fermes familiales françaises jusqu'aux années 1960, quand on a lancé la "modernisation" de l'agriculture. Il a été abandonné car trop difficilement mécanisable et trop gourmand en main d'oeuvre. Mais il est le seul à pouvoir conduire à une autonomie totale du système, sans devoir recourir aux intrants engrais minéraux et pesticides notamment. Les productions végétales nourrissent les animaux qui eux même fournissent la matière organique "noble" qui va garantir la fertilité à long terme des terres. Il redevient possible dans le modèle coopératif du fait de la main d'oeuvre disponible.
Dans l'illustration ci dessus vous avez un exemple de la manière dont on pourrait organiser le système de production d'une coopérative disposant de 28ha et qui doit nourrir 100 familles.
- 7 ha de prés vergers pour la production diversifiée de fruits. Les espèces seront à adapter en fonction des régions. L'enherbement aux pieds des arbres est contrôlé par une petite troupe d'ovins de race peu agressive pour les arbres. des oies sont aussi présentes pour consommer les fruits tombés et contrôler des ravageurs. Une partie sert de parcours aux poules pondeuses.
- 3 ha de maraîchage diversifié sur sols vivants dont 5000m2 de tunnels pour les légumes d'été.
- 18 ha décomposés en 6 parcelles en rotation. 2 ans de luzerne en tête de rotation. La première année de luzerne permettra de faire un peu de foin pour les ovins en hiver. La parcelle qui accueillera la luzerne de 2eme année hébergera aussi les cabanes des 6 truies, qui pourront ainsi pâturer la luzerne. En année 3 du blé puis du sarrasin dérobé pour production de farine. En année 4 un méteil, de type triticale et pois à utiliser comme aliment pondeuses. En année 5 pommes de terre et courges en plein champ. Ce seront ces parcelles qui recevront en priorité le fumier des porcs charcutiers. Puis une 6eme année avec des céréales secondaires et/ou des légumineuses graines (lentilles pois chiche) avant de revenir à la luzerne.
Vous avez là un système très diversifié qui laisse une belle place aux légumineuses qui garantiront la ressource en azote. Les sols sont couverts en permanence, ce qui doit limiter les besoins en désherbage et faciliter le semis direct. Le fumier est valorisé sur les cultures à gros besoin. Pour toutes ces cultures, à l'exception de la luzerne, il est possible de travailler en semences fermières.
L'irrigation sera réservée aux courges et aux pommes de terre si sécheresse sévère, et à la partie maraîchage. Les céréales sont des cultures d'automne qui ne devraient pas avoir besoin d'arrosage.
Sur une exploitation de taille modeste mais de grande diversité de production la gestion du travail et de la main d’oeuvre est un enjeu très important. Si dans l’agriculture moderne qui s’est développée dans notre pays depuis plus de 50 ans les exploitations se sont presque toutes spécialisées c’est, d’une part, pour des raisons de compétences (quand on est seul on ne peut pas être très bon partout), mais aussi d’équipement avec des machines qui sont toutes bien moins polyvalentes que le travail humain. Et, enfin, il reste la charge de travail. Dans une exploitation de polyculture – polyélevage l’articulation de toutes les multiples tâches diverses est très difficile à gérer pour une personne seule. Avec la coopérative vivrière nous poussons la logique de la diversité des productions à son maximum. La complexité de l’organisation du travail sera donc elle aussi importante. Elle doit être étudiée en détails.
La première question est de répondre aux besoins de compétences diverses pour assurer la qualité des productions. Spontanément il nous semble qu’il va falloir au moins 4 profils complémentaires. Une personne spécialisée en légumes, une en fruits et apiculture, une en production céréalière et panification et une quatrième en production animale pour superviser les ateliers porcs, volailles et moutons. L’idée serait donc d’embaucher, avec un statut de salariés, 4 personnes ayant ces profils complémentaires. Ces personnes seraient chacune en responsabilité de son atelier. Malgré tout une certaine polyvalence serait bienvenue, notamment pour assurer des remplacements pour congés et week-end auprès des animaux. Ces 4 salariés seront donc en charge d’organiser le planning de production de leur atelier en concertation avec le conseil d’administration de la coopérative. Ils auront bien sûr aussi à assurer une part du travail de terrain. Mais en pleine période de production, printemps et été, ils vont avoir besoin de compléments de main d’oeuvre pour ne pas se faire déborder. C’est ici que la logique de la coopérative doit jouer à plein. Le principe est que chaque famille de sociétaires assure des journées de travail « bénévoles » pour assister les salariés aux périodes de travail intense. C’est la condition pour que ce système très diversifié et complexe, qui intègre production, transformation, conditionnement et commercialisation, puisse fonctionner à un coût qui ne rende pas prohibitif les produits finaux.
Nous avons essayé d’évaluer le mieux possible les différentes tâches qui seront a effectuer tout au long de l’année. Le résultat est présenté dans le ci-dessous.
On s’aperçoit qu’environ 6500h de travail sont estimées nécessaires pour faire fonctionner cette coopérative dans la partie production et transformation. Nous n’avons pas intégré ici de temps de travail administratif.
Selon le temps de travail demandé aux salariés (ils peuvent être sur une base de temps plein dans un modèle semaine de 4 jours à 28h, semaine de 4 jours à 32h ou 35h, semaine de 5 jours à 35h) la part global du travail annuel qu’ils prendront en charge est différente.
Si on raisonne sur la situation la plus favorable pour eux, qui est aussi la situation qui semble la plus socialement acceptable pour des personnes qui seront employées à des tâches parfois physiques et pénibles, avec une responsabilité d’encadrement des sociétaires bénévoles et de pilotage des ateliers, cela représenterait donc 60 % du temps de travail global annuel qui sera pris en charge par les salariés. Il reste donc 40 % à couvrir par les sociétaires. Cela représente selon nos estimations 5 jours de bénévolat par famille et par an si cette charge est également répartie sur les 100 familles. Cet engagement bénévole reste donc très modeste. C’est la force d’avoir un groupe constitué assez important pour se répartir à un niveau acceptable cette charge de travail. Ceci dit rien n’oblige à ce que tous participent à même hauteur aux travaux de production. Ce sera aux administrateurs de la coopérative de décider s’il est possible d’avoir des engagements différenciés des familles en fonction de la situation particulière de chacune. Là encore il faut garder de la souplesse et de la négociation interne.
On peut se poser ensuite la question des compétences demandées pour cette main d’oeuvre bénévole. Plusieurs points peuvent être mis en avant.
Le premier est de dire qu’il y aura sur une coopérative de ce type de nombreuses tâches très diverses à effectuer. Certaines seront un peu pointues et complexes, par exemple des soins à des animaux malades, élaborer un plan de cultures légumières, faire du pain ou découper dans les règles de l’art une carcasse de porcs charcutier. Mais d’autres seront bien plus basiques et répétitives, qui ne demandent pas de compétences particulières. On peut imaginer qu’assez vite les sociétaires vont mettre en avant des préférences pour tel ou tel type de tâche. Une certaine spécialisation va se faire. Par ailleurs les sociétaires ont vocation à rester au sein de la coopérative dans la durée. Autant il sera toujours possible de sortir de la coopérative en revendant ses parts, autant cela devrait rester exceptionnel. Ce sera sans doute principalement pour les personnes amenées à déménager et quitter le secteur de leur coopérative. Dans ces conditions on peut faire l’hypothèse qu’assez rapidement des sociétaires vont monter en compétences, dans les travaux qu’ils préfèrent. Cela permettra donc à la coopérative de bénéficier d’une main d’oeuvre abondante et compétente sur laquelle on puisse vraiment répartir le travail pour que chacun y trouve son compte.
Enfin il reste la partie administrative qui est aujourd’hui déjà très lourde et souvent péniblement ressentie par les agriculteurs. Elle risque d’être au moins aussi lourde et complexe pour la coopérative qui devra respecter toutes les réglementations environnementales et sanitaires comme actuellement, tout en ayant en plus à administrer les salariés et faire vivre la coopérative. Il faudra prévoir un conseil d’administration assez étoffé pour que cela se passe au mieux.
Malgré tout sur une base de 100 familles on ne devrait pas avoir trop de mal à trouver des personnes compétentes pour assurer les suivis réglementaires et administratifs de la coopérative, faire la comptabilité et tenir la trésorerie. La comptabilité devrait de fait être assez simple si les produits de la structure sont les forfaits fixes mensuels que verse chacune des familles. Les rentrées mensuelles sont donc régulières. Les dépenses assez limitées du fait d’un système technique très autonome qui demande peu d’intrants.
L’ensemble des productions de la coopérative ont vocation à être consommées par les sociétaires. Cela nécessite donc des équipements et un travail de transformation et conditionnement important. La coopérative va donc devoir se doter d’un laboratoire de découpe et conditionnement de la viande , et d’une salle dédiée à la transformation des fruits et légumes, avec capacité notamment à faire des conserves.
Par soucis de simplification il faut envisager de n’utiliser que des bocaux en verre de forme et de dimensions standard avec 2 ou 3 références de taille seulement, par exemple 1 kg et 500g.
Les 1 kg pourraient être utilisés pour les compotes et conserves de légumes.
Les 500g pour les confitures, miel et terrines et pâtés.
Un système de nettoyage de ces pots doit être prévu par la coopérative, chaque sociétaire s’engageant à rapporter systématiquement ses pots après utilisation. Nous devrions comme cela pouvoir atteindre la quasi autonomie en emballage, une fois le stock de départ acheté. Il faudra juste prévoir de remplacer les quelques pots qui pourraient se perdre ou se casser au cours de l’année. Nous pouvons ainsi viser le 0 déchet, ce qui est très difficile à atteindre pour des exploitations agricoles classiques où les produits sont vendus à des clients non fidélisés ni engagés dans ces démarches de réutilisation des emballages. C’est aussi une économie financière très importante. Dans le même ordre d’idée, les étiquetages des conserves produites par la coopérative seront réduits au minimum, à savoir la nature du produit et sa date limite de consommation. La distribution des produits étant quasi totalement effectuée vers les sociétaires il n’y a plus nécessité des mentions normalement demandées pour des produits fermiers. Cela facilitera aussi grandement le travail de conditionnement et de réutilisation des pots.
La capacité de transformation de la coopérative est un élément central dans son futur fonctionnement. Elle est nécessaire pour que tous les produits soient valorisés au mieux. Elle est aussi indispensable pour gérer l’excédent de production en fruits et légumes notamment, tout en disposant de ressources alimentaires diversifiées pour les sociétaires en hiver. Nous nous rapprochons alors du système ancestral de l’agriculture vivrière française comme elle a fonctionné pendant des millénaires. De tous temps les hommes ont produit en été et conservé pour l’hiver des denrées alimentaires. Cela passait au début surtout par du salage et du séchage, puis la conservation par lacto-fermentation, et enfin stérilisation. Cette tradition de conserverie a complètement disparu pendant la deuxième partie du 20eme siècle. Nous avons tous confié à l’industrie agroalimentaire le soin de nous mettre à disposition toute l’année dans des supermarchés nos aliments. En parallèle nous avons perdu toute capacité, de savoir faire et de potentiel de stockage, à gérer nous même des stocks d’aliments pour passer l’hiver. Les coopératives citoyennes vivrières pourraient nous permettre très facilement de retrouver cette capacité à gérer notre alimentation complète en production locale, diversifiée et de qualité dans une démarche collective. La coopérative doit « juste » pour cela avoir les capacités de transformation et de stockage adéquates.
Le tableau ci joint présente le panier annuel moyen qu’on prévoit de produire sur l’année pour un adulte consommateur.
On y trouve donc toute la nourriture de base, hors produits laitiers et viande de ruminants. Les quantités ont été évaluées pour suffire sur l’ensemble de l’année. La coopérative sera équipée d’un laboratoire de transformation à la ferme permettant de valoriser les excédents de fruits et légumes récoltés en été en produits transformés qui seront mis dans les paniers des sociétaires au cours de l’hiver.
Selon les prix de 2023 la valeur théorique de ce panier annuel est estimée à 2610€. Nous verrons dans la dernière partie à quelles conditions économiques la coopérative vivrière pourra le proposer à ses adhérents.
Nous allons ici imaginer une situation « idéale » d’une structure d’exploitation complète permettant au type de coopérative envisagée de fonctionner à plein régime dans des conditions optimales. Il est vraisemblable que, au début au moins, les coopératives citoyennes qui se lancent ne puissent disposer de tout cela.
Voici déjà la liste des biens qui semblent souhaitables, à défaut d’être tous nécessaires.
En matière de bâtiments un corps de ferme dans lequel on puisse installer un logement de fonction pour un, ou un couple, de salariés, afin d’avoir une présence permanente sur la ferme. Il serait bien de pouvoir aussi aménager dans ce corps de ferme une salle commune pour faciliter la vie de la coopérative, un bureau pour sa gestion au quotidien, un laboratoire de transformation avec au minimum une salle de découpe et une chambre froide pour le travail de la viande, une salle pour les conserves végétales avec autoclave, des espaces de stockage.
En plus de ce bâtiment principal il faudra prévoir un bâtiment pour l’engraissement des porcs charcutiers de type box avec aire paillée, et stockage de la paille et du matériel agricole. En terme de dimensionnement on aura besoin de 6 box de 20m² pour les cochons (pour accueillir les 6 porcelets sevrés de chaque femelle à chaque mise bas), plus 500m² d’espace de stockage. Un bâtiment qui fera donc au moins 600m². Dans un monde idéal, et pour être en phase avec la transition écologique que porte ce modèle de coopérative citoyenne, cela ferait sens d’équiper la toiture de panneaux photovoltaïques pour de l’autoconsommation avec vente de surplus et de système de récupération des eaux de pluie de ces grandes toitures, pour assurer notamment une partie des besoins en eau pour l’abreuvement des porcs à l’engraissement et l’irrigation des légumes. Dans ces conditions on peut imaginer qu’il soit intéressant d’avoir ce bâtiment à proximité de l’espace de maraîchage, notamment des tunnels.
Au delà de ces 2 bâtiments principaux il faudra prévoir le bâtiment mobile des poules pondeuses, les 6 cabanes pour les truies et un petit abri en libre accès pour les ovins qui parcourent le pré-verger.
Pour ce qui est du matériel agricole sont à travailler chaque année 12 ha de grandes cultures, 6 ha de luzerne, 5 ha de légumes en planches permanentes. C’est donc relativement modeste en terme de surface et ne justifie pas de détenir, en pleine propriété, un parc de matériel complet. Néanmoins, du fait de la diversité des travaux à faire, il faudra pouvoir accéder à l’ensemble des outils nécessaires pour travailler le sol (pour les grandes cultures et les légumes), semer, désherber mécaniquement, récolter du foin, épandre des fumiers. Ce sera bien sur à chaque coopérative de faire ses choix d’investissement. On peut considérer que les modèles de mise en commun de matériels agricoles actuels, copropriété, cuma ou le recours à des prestataires entreprises de travaux agricole qui existent déjà puissent être une solution aussi pour nos coopératives citoyennes.
Enfin un investissement doit être fait dans des clôtures fixes autour du pré-verger, avec du grillage à moutons qui contrôle aussi les oies, et du matériel de clôtures électriques mobiles pour les parcs des truies. Pour la partie apicole nous avons besoin de 80 ruches et 100 hausses, plus du petit matériel de miellerie.
Selon les régions cet ensemble peut être obtenu avec un investissement moyen estimé à environ 500000€. Ce sera forcément plus en périphérie parisienne que dans une petite ville de la Creuse.
Le plan de financement de ces investissements se fera de manière classique pour une coopérative. Chaque sociétaire fait un apport en parts sociales, et un emprunt bancaire est souscrit pour compléter. Nous allons faire l’hypothèse d’un apport de parts sociales moyens de 1000€/ adulte, soit 200000€ de fonds propres disponibles pour la coopérative. Reste donc à emprunter 300000€.
A noter que ces 1000€ de parts sociales sont une moyenne. On peut imaginer que la coopérative rassemble des personnes de conditions différentes. Certaines ne pourront souscrire qu’une part de 100€. D’autres pourront investir un peu plus. Dans tous les cas il s’agit bien ici d’achat de parts sociales. Ce n’est donc pas un don, ni un prêt. Ces parts sociales sont récupérables en totalité quand le sociétaire veut quitter la coopérative.
Si le statut de la coopérative est une SCIC il est possible que les apports en capital soient défiscalisés en partie.
Nous n’avons pas prévu ici d’achat de foncier agricole. De même que pour toute exploitation classique nous pensons que le fermage est un statut préférable à la propriété foncière de terrains agricoles. Reste donc à savoir qui seront les propriétaires des terrains exploités par la coopérative. Il peuvent être des citoyens lambda. Mais on pourrait imaginer aussi que dans ce modèle de coopérative citoyenne on cherche un portage foncier qui fasse sens. Deux pistes sont à explorer. Le foncier acheté par la collectivité locale où est situé le siège de la coopérative (la commune) qui pourrait être loué en bail emphytéotique à la Scic, dont la collectivité peut par ailleurs être sociétaire. Une autre possibilité serait de se rapprocher de Terre de liens qui achèterait les terres pour les donner en fermage à la coopérative.
Une fois les investissements réalisés et la coopérative en fonctionnement nous pouvons dresser le compte de résultat prévisionnel pour évaluer la performance financière du modèle. Vous avez les résultats de cette simulation c-dessus.
Tout d'abord les produits. Ils sont constitués en immense majorité du forfait mensuel que chaque famille va verser pour équilibrer les comptes de la coopératives en échange de son panier alimentaire. Nous ne sommes donc pas dans une démarche de commercialiser des produits unitaires, ce qui est toujours difficile à réaliser. Pour simplifier le système, et sa gestion, il semble préférable de fixer un ou des forfaits correspondant aux différents types de paniers proposés s'il y en a des différents. Cette méthode évite de se poser la question des coûts de production produit par produit, ce qui est toujours très difficile à mesurer en agriculture. Et de fait le montant du ou des forfaits sera fixé par le CA de la coopérative dans une logique d'équilibrer les comptes annuels, plutôt que d'essayer de couvrir des coûts de production.
Dans cette première simulation nous avons gardé une petite recette liée à la Politique Agricole Commune. On voit que sur cette "petite" exploitation diversifiée la contribution de la PAC est très faible au regard du chiffre d'affaires global. Avec ce modèle nous pourrions sans difficulté nous passer de la PAC.
Nous commenterons après avoir étudié les charges le montant du forfait demandé.
Pour ce qui est des charges on se rend compte qu'il n'y a presque plus de charges opérationnelles. Ce n'est pas surprenant du fait que le système a été conçu pour son autonomie et son indépendance. Il doit pouvoir fonctionner sans engrais minéraux, sans pesticides. Pour la plupart des productions végétales il est possible de travailler en semences fermières.
Pour ce qui est du carburant le système est aussi conçu pour en demander le moins possible. Les ateliers arboriculture et maraîchage seront demandeurs de beaucoup de main d'oeuvre mais de peu de mécanisation. Pour les cultures céréalières nous utiliserons bien des tracteurs et des machines. Mais sur 18ha par an, dans une démarche d'agriculture de conservation (pas de labour, du semis direct et un couvert permanent) les besoins en carburant seront le plus réduits possibles. Dans le tableau ci-dessus nous avons fait l'hypothèse que les travaux agricoles sont pris en charge par une ETA.
Pour finir il ne restera comme charges variables que celles liées à la transformation des produits de ce qui ne peut être effectué directement sur la coopérative. Ce sera principalement l'abattage des animaux, porcs et moutons principalement.
Si donc ces charges opérationnelles sont très réduites, le coût de la main d'oeuvre salariée est lui très important. Il est le principal poste de dépenses de la coopérative. Nous avons dans la simulation ci-dessus budgété 4 salariés qui travaillent chacun 28h par semaine sur 4 jours pour une rémunération mensuelle brute de 2300€/ mois, ce qui est du niveau du salaire moyen français. Nous faisons donc un choix assumé de construire un modèle agricole qui s'appuie sur du travail humain bien plus que sur des machines. Et nous voulons que les emplois proposés soient de bonne qualité et avec une rémunération correcte. Il faut rappeler que les 4 salariés seront chacun responsables d'un atelier, avec des missions de conduite et d'encadrement des sociétaires qui viendront travailler avec eux sur le terrain.
Une fois posées toutes ces hypothèses, et en intégrant l'annuité du prêt lié à l'investissement de départ, nous voyons qu'il faut demander 85€/mois et par adulte et la moitié par enfant pour équilibrer le compte de résultat annuel. Cela représente donc 255€/mois par famille et 3060€/an.
Nous avions plus avant évalué le coût 2023 du panier alimentaire moyen annuel à 2610€ par adulte. Dans notre coopérative ce panier sera accessible pour 85*12=1020€. Par rapport à la situation de 2023 on divise donc le coût de l'alimentation par un facteur 2,6 pour une alimentation totalement relocalisée, de très grande qualité, issue d'un système agroécologique soutenable.
Ce résultat est donc très intéressant. Il est d'ailleurs un objectif fort de ce modèle de coopérative citoyenne de pouvoir proposer à tous les citoyens, quelque soit leur niveau de revenu, une alimentation locale de grande qualité à un coût accessible pour tous. Il faut savoir que dans le système agroalimentaire actuel, où l'alimentation redevient chère, ce que nous payons dans les magasins est l'ensemble des coûts et des marges prélevés par tous les acteurs de la filière, du producteur à l'assiette du consommateur. Avec le modèle de la coopérative citoyenne on ne paie plus que l'acte de production, avec en plus un système socialisé de partage de la main d'oeuvre entre du salariat éthique et du bénévolat compétent et raisonné qui réduit le coût global du système de production.
Si vous voulez en savoir plus, ou si vous voulez des conseils et une assistance pour lancer un collectif prêt à s'engager dans cette aventure de la coopérative citoyenne de production agricole n'hésitez pas à nous contacter via le formulaire de contact du site. Nous répondrons dans la limite de nos disponibilités. Vous pouvez aussi m'appeler au 0614691661